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La nécessaire reconnaissance juridique du vol de données immatérielles

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Les secrets d’affaires1 développés par une entreprise sont censés lui procurer un avantage commercial ou industriel substantiel à l’égard de la concurrence. De fait, ce savoir-faire dûment identifié, constituant en cela un « patrimoine informationnel », doté d’une véritable valeur économique quantifiable2, suscite des convoitises accentuées par un contexte de compétition exacerbé et facilité par la dématérialisation des données.

Le cas le plus symptomatique reste l’espionnage commercial ou industriel contre lequel les PME sont insuffisamment armées.

Ainsi, après l’affaire Michelin, dans laquelle un ingénieur du fabricant de pneumatiques avait piraté des données stratégiques de R&D; en vue de les revendre à Bridgestone, une PME a également été victime en 2009 d’actes préjudiciables à ses intérêts. Cette société avait recruté une personne asiatique pour optimiser sa présence en Chine. Deux ans après, le salarié quittait l’entreprise aux termes d’un départ négocié. Alors que ce dernier devait quitter la France deux jours plus tard, le chef d’entreprise était informé par un contact chinois que son ex-salarié lui avait proposé d’acquérir des fichiers de l’entreprise. Ayant déposé plainte pour vol, la brigade N-TECH était mandatée pour prélever les empreintes informatiques constituant les preuves nécessaires ; le commercial indélicat était ensuite mis en examen et l’instruction demeure actuellement en cours.

S’agissant des voies de recours en cas de révélation de secrets protégés, au-delà des recours en matière civile3, la voie pénale révèle être la plus efficace, car bien souvent immédiate. Si les moyens d’investigations bien plus contraignants pour l’auteur présumé de l’infraction relèvent de la puissance publique, mise en œuvre par les services de police, l’orientation du procès et les mesures d’instruction échappent toutefois à la victime.

Comme cela est exposé ci-dessous, le constat le plus navrant est qu’il n’existe pas, pour l’heure, de texte pénal réprimant précisément l’appropriation et/ou la divulgation de secrets d’affaires. Une révolution juridique s’annonce peut-être avec une proposition de loi spécifique sur le sujet.

En l’état actuel, voici les principaux ressorts du droit pénal :

§1. Un droit commun aux contours imparfaits :

A l’exclusion des cas particuliers d’atteinte aux intérêts stratégiques de l’état fondées notamment sur la notion légitime de raison d’état (l’atteinte au secret de la défense nationale réprimée par l’article 413-9 et suivants du Code pénal ; l’intelligence avec une puissance étrangère réprimée par l’article 411-4 et suivants du Code pénal ; la livraison d’informations à une puissance étrangère réprimée par l’article 411-6 et suivants du Code pénal ; le sabotage réprimé par l’article 411-9 du Code pénal …), la victime commerciale devra recourir au droit commun et s’appuyer sur la qualification pénale classiquement retenue, telle que le vol (article 311-1 et suivants du Code pénal), l’abus de confiance4 (article 314-1 et suivants du Code pénal – ce chef de poursuite est le plus courant mais se trouve strictement cantonné à une relation contractuelle), la violation des secrets de fabrication (article 131-26 du Code pénal, L. 1227-1 du Code du travail et L 621-1 du Code de la propriété intellectuelle), la contrefaçon (article L 615-14, L716-9 du Code de la propriété intellectuelle), éventuellement l’escroquerie (article 313-1 du Code pénal) … cette liste n’étant pas exhaustive.

Il ressort néanmoins de cette énumération qu’il n’existe aucun texte pénal qui sanctionne précisément l’appropriation de biens immatériels ou informationnels, à moins que la victime ne soit l’Etat.

Et pour autant, parler de patrimoine incorporel ne signifie pas que celui-ci soit insaisissable et si cela se produit, les effets économiques peuvent être dévastateurs.

§2. La protection des secrets de fabrication :

S’agissant plus précisément des secrets de fabrication, l’article L. 621-1 du Code de la Propriété Industrielle, qui renvoie à l’article L. 1227-1 du Code du travail, stipule que :

« Le fait pour un directeur ou un salarié, de révéler ou de tenter de révéler un secret de fabrication est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 €.

Le tribunal peut également prononcer, à titre de peine complémentaire, pour une durée de cinq ans au plus, l’interdiction des droits civiques, civils et de famille prévue par l’article 131-26 du Code pénal. »

Cet article pose néanmoins trois conditions cumulatives :

ce texte ne s’applique qu’à un secret de fabrication à l’exclusion de tout autre secret d’affaires ou d’information de toute nature ;

l’auteur de l’infraction doit impérativement être un salarié ou un ancien salarié5 ;

et que l’acte incriminé soit une divulgation ou une tentative de divulgation, ce qui exclut la simple possession.

Cet article ne donnant pas la définition du secret de fabrication, il convient de s’en remettre à la jurisprudence qui, dès 1935, a entendu ainsi qualifier « tout procédé de fabrication, offrant un intérêt pratique ou commercial, mis en œuvre par un industriel et gardé secret à l’égard de ses concurrents »6.

Compte tenu de ces conditions restrictives, un tel dispositif demeure délicat à mettre en application.

§3. Des tribunaux réticents à reconnaître le vol de biens immatériels :

Dans le cas du vol, qui paraît être la qualification la plus appropriée, et qui se définit communément comme étant la soustraction frauduleuse du bien d’autrui7, il demeure néanmoins une ambigüité d’application juridique.

En effet, le vol se traduit dans les faits par la disparition matérielle du bien dans le patrimoine de la victime, et son transfert avec apparition corrélative dans l’actif du voleur. D’aucuns estiment ainsi que le vol ne peut porter que sur des biens matériels à l’exclusion, par opposition, de tout bien immatériel.

C’est pourquoi une équivoque réside dans le cas d’une duplication illicite de données dématérialisées. En effet, s’agissant d’une copie réalisée sur une clef USB par exemple, le fichier d’origine demeure en possession de la victime. Il n’y a donc pas déplacement d’un patrimoine à l’autre.

Ainsi, la Cour d’appel de Paris8 a, dans un premier temps, estimé de manière somme toute restrictive que : « des transferts qui portent exclusivement sur des données immatérielles, quelle qu’en soit la valeur intellectuelle, ne sauraient entrer dans le champ d’application [du vol] qui exige que la soustraction frauduleuse porte sur une chose matérielle ou corporelle ; qu’il est, en outre, manifeste que ces opérations de copiage, n’ayant entraîné aucun transfert dans la possession des données informatiques, ne sauraient être à elles seules constitutives d’une soustraction ».

De même, la Cour d’appel de Grenoble a pour sa part jugé que « le vol étant la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui, celle-ci est nécessairement une chose matérielle susceptible d’appréhension par l’auteur du vol et le « vol d’information » ne peut être appréhendé par la loi pénale qu’à travers le vol de son support matériel »9

Il ressort donc de cette analyse que les tribunaux ont longtemps été hostiles à la reconnaissance judiciaire du vol de données informatique ou incorporelles à l’exception de curieuses conceptions et constructions juridiques autour du « vol d’usage »10 ou « vol de temps-machine »11.

§4. Vers la nécessaire reconnaissance légale du vol – sinon de la divulgation – de biens immatériels ?

Ainsi, pour la jurisprudence, la qualification de vol pouvait-elle être retenue s’agissant de biens immatériels et dont la victime en conserve pourtant la possession originaire ?

En s’appuyant notamment sur la théorie désormais bien connue et développée à l’occasion du vol d’énergie12, même si les juges du fond conservent toujours leur souveraineté dans l’appréciation des faits, il apparaît que la jurisprudence ait retenu ce chef de poursuite, ce qui n’était pas évident il y a encore quelques années, comme vu ci-dessus.

Ce revirement a été opéré assez récemment, la Cour de cassation ayant reconnu la qualification de vol de données informatiques retenant que « le fait d’avoir en sa possession, (…) après avoir démissionné de son emploi pour rejoindre une entreprise concurrente, le contenu informationnel d’une disquette support du logiciel [X], sans pouvoir justifier d’une autorisation de reproduction et d’usage du légitime propriétaire, qui au contraire soutient que ce programme source lui a été dérobé, caractérise suffisamment la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui et la volonté de s’approprier les informations gravées sur le support matériel »13.

Cette décision pour le moins novatrice, et néanmoins attendue, demeure pour l’instant la position de la juridiction suprême, même si la doctrine ne semble pas s’être rangée uniformément derrière cette décision.

C’est pourquoi les juristes attendent désormais beaucoup de la proposition de loi déposée par le député Bernard CARAYON, en date du 17 juin 2009, relative à la protection des informations économiques, visant à introduire dans le Code pénal « l’atteinte au secret d’une information à caractère économique protégée ».14 En effet, une telle qualification pénale serait une évolution juridique notable.

Cosignée par plus de 120 députés, cette proposition, dans son exposé des motifs, part du constat lumineux que la « globalisation de l’économie » et sa dématérialisation, ont rendu « plus diffus aujourd’hui ce qui constitue le patrimoine d’une entreprise. (…) Or, l’utilisation croissante et les rapides progrès de nouvelles technologies de l’information et de la communication fragilisent ce patrimoine (…) C’est pourquoi une protection juridique adaptée à ce patrimoine s’avère indispensable. ».

Avec ce texte audacieux, le législateur se propose donc de punir d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende, au plus, le fait « pour toute personne non autorisée par le détenteur ou par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, d’appréhender, de conserver, de reproduire ou de porter à la connaissance d’un tiers non autorisé une information à caractère économique protégée. »

De portée très large, un tel article nécessitera bien évidemment une explication de texte par les juristes et ne manquera pas, s’il est adopté sous cette forme, de susciter débat, critiques et réserves.

Reste qu’une telle loi demeure très attendue et qu’il faut aujourd’hui espérer que les parlementaires soient animés d’une véritable témérité pour l’adopter.

Sources:

1 Nous utilisons volontairement la terminologie « secrets d’affaires », bien que la loi stipule « secret de fabrication » (article L.1227-1 du Code du travail), à défaut de toute autre définition.

2 Depuis 2003, les normes comptables IFRS permettent d’inscrire à l’actif du bilan les frais de développement de nouveaux produits ou services.

3 Rappelons qu’en matière civile, la victime doit impérativement faire la démonstration d’un préjudice afin d’obtenir une réparation financière sous forme de dommages et intérêts. Cette disposition pécuniaire est la seule encourue par le défenseur qui peut avoir organisé son insolvabilité. Enfin, le droit positif français ne retient que la réparation, à l’exclusion de toute autre sanction financière.

4 Cass. Com. 14 juin 1983, Cass. Com. 30 janvier 2001

5 Ce qui exclut toute autre personne qui serait en possession d’un secret ou d’informations confidentielles divulgués par un ancien salarié.

6 Cass. Crim., 29 mars 1935

7 Tel que définit littéralement par l’article L 311-1 du Code pénal

8 CA Paris, 13e ch. A, 25 novembre 1992

9 CA Grenoble, 1e ch. corr., 4 mai 2000

10 Cass. Crim. 12 janvier 1989 : les prévenus ont été déclarés coupables du vol du support matériel (disquettes) pendant la durée de la reproduction de leur contenu informationnel

11 Dans lesquelles le vol était admis pour le laps de temps d’emprunt du support matériel du bien incorporel et nécessaire à sa reproduction : Cass. Crim. 8 janvier 1979 arrêt Logabax. Dans cette décision très commentée, il apparaît que le vol a été retenu dès lors que le prévenu n’avait « que la simple détention matérielle [des originaux], les avait appréhendés frauduleusement pendant le temps nécessaire à leur reproduction. »

12 Cass. Crim., 12 décembre 1984, dite jurisprudence EDF

13 Cass. Crim., 9 septembre 2003

14 Proposition de loi n°1754

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